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Homophobie antillaise

Interview d'An Nou Allé au magazine lyonnais Hétéroclite, «Mensuel gratuit gay mais pas que...»
(Propos recueillis par Renan Benyamina le 22 décembre)

Rivière-Salée, le 3 janvier 2007 Communication n°ANA2007/02

QUESTIONS / RÉPONSES:

1°/ Peut-on parler d'une homophobie spécifiquement antillaise?

On peut effectivement parler d'une «homophobie spécifiquement antillaise», dans la mesure où plusieurs facteurs spécifiques aux Antilles déterminent la perception globalement négative de l'homosexualité dans ces îles. Cependant, cette «spécificité» de l'homophobie antillaise ne doit pas justifier une «spécificité» de la tolérance de cette homophobie ! Cela va sans dire apparemment, mais c'est pourtant bel et bien l'argument qu'avance à demi-mot le Parti socialiste quand il refuse de sanctionner Marlène Lanoix, Raymond Occolier et Jules Otto, trois de ses membres éminents en Martinique et en Guadeloupe qui ont récemment, à des degrés divers, tenu des propos homophobes.

2°/ Quelles en sont les causes? Religion? Une «culture» de la famille spécifique?

Les causes de cette spécificité de l'homophobie antillaise sont d'ordre géographique, historique et institutionnel : Les facteurs géographiques sont l'insularité et le contexte latino-américain. Les îles des Petites Antilles précisément, parce qu'elles sont des îles et parce qu'elles sont petites, forment autant de sociétés closes où tout le monde connaît tout le monde, comme en Corse par exemple, ce qui rend le regard collectif singulièrement oppressant pour les personnes LGBT (lesbiennes, gaies, bi & trans). Et ces îles font partie intégrante du contexte latino-américain avec son cortège de violence rhétorique ou physique, violence qui va de la «murder music» interprétée par Krys ou Admiral T, décalque des appels au meurtre de certains chanteurs jamaïcains, jusqu'aux meurtres homophobes commis chaque année par dizaines au Mexique, au Brésil, en Jamaïque et ailleurs.

Les facteurs historiques relèvent du passé colonial et esclavagiste. Le passé colonial, qui a laissé de nombreuses lois homophobes dans les Antilles anglophones, participe encore aujourd'hui d'un contexte social figé, rétif aux avancées des droits des minorités sexuelles, perçus comme un «cadeau empoisonné» de l'ancien colonisateur destiné à empêcher les descendants d'esclaves d'affirmer voire de redécouvrir leurs supposées valeurs originelles et, par là même, leur liberté. Le passé esclavagiste, plus particulièrement, toujours présent dans les mentalités et souvent déterminant dans la répartition des richesses, voyait le corps des esclaves réduit au rang d'objet de jouissance pour les maîtres, et amène certains de leurs descendants à voir dans l'homosexualité une volonté du Blanc de reprendre possession du corps du Noir (l'homosexualité entre Noirs étant alors déniée ou ramenée au statut de pratique sournoisement répandue par le Blanc).

Les facteurs institutionnels sont la religion et, pour ce qui relève des Antilles françaises, la loi française. L'église catholique et les différentes confessions et sectes protestantes, particulièrement vivaces aux Antilles, assimilent ouvertement l'homosexualité à la pédophilie et ramènent sans cesse leurs nombreux fidèles à la littéralité des passages homophobes de la Bible (Lévitique, XVIII, 22 et XX, 13 notamment). La législation française, en réprimant les actes et les propos homophobes, place finalement les Antilles françaises dans une contradiction permanente : coincée entre une norme sociale et une norme légale de plus en plus divergentes, la population martiniquaise et guadeloupéenne a jusqu'à présent plus ou moins troqué son homophobie, ramenée à une certaine discrétion, en échange du confinement de la vie homosexuelle dans un non-dit permanent, facteur d'étouffement psychologique et de défaut de prévention VIH/sida.

La culture de la famille antillaise se forme au creuset de ces facteurs : insularité, contexte latino-américain, passé colonial et esclavagiste, religion, influence métropolitaine... La notion de famille élargie est alors primordiale à la Martinique et à la Guadeloupe (qui comptent respectivement un peu moins de 400.000 et un peu plus de 450.000 habitants, soit en moyenne la population de l'aire urbaine de Metz) : où qu'il soit, chacun est toujours sous le regard d'un cousin, d'un oncle ou de quelqu'un qui en connaît un. Dès lors, la famille, soucieuse de protéger sa réputation, exercera une pression renforcée sur ceux de ses membres qui seraient homosexuels. Plus facilement qu'ailleurs, cette pression pourra aller de l'humiliation permanente à la violence physique en passant par la séquestration. Et si la famille élargie n'exerçait pas cette pression, c'est elle qui serait stigmatisée : il n'est qu'à voir les attaques que subit apparemment en Martinique la famille de Cyril, candidat supposé homosexuel de l'émission «Star Academy» diffusée par TF1 (cf. le magazine Baby Boy de novembre 2006, page 8). L'exil apparaît dès lors comme la plus vivable des solutions : la mère pourra renoncer à demander des petits-enfants à son fils sous réserve que ce fils soit loin, en France hexagonale, au prix d'une rupture familiale de fait qui expose les plus jeunes à une précarité sociale et économique ne restant pas sans conséquences à un âge où le futur professionnel se joue.

3°/ Quelle est l'audience de la «murder music» aux Antilles ? Pensez-vous que les médias sont trop complaisants à l'égard de ses représentants ?

L'audience du dancehall, du reggae et du ragga est considérable aux Antilles. Les jeunes reprennent des refrains d'une violence sidérante, dont les interprètes sont complaisamment diffusés par les radios et les télés locales : Trace FM, Canal + et Canal Sat Caraïbes ont ainsi récemment retransmis un concert d'Admiral T. À cette occasion, France-Antilles a même publié une interview de ce dernier où il se disait «attaqué» et «agressé» par les associations LGBT ! Toutefois, ce même quotidien reprend régulièrement les informations émises par An Nou Allé, comme d'autres radios ou télévisions locales, notamment RFO. Le paysage audiovisuel antillais se partage donc entre le pire et le meilleur, semblable en cela au reste du paysage audiovisuel français.

4°/ Les socialistes ayant dérapé sur la question de l'homosexualité sont-ils revenus sur leurs propos?

Les trois membres antillais du Parti socialiste qui ont récemment tenu des propos homophobes, Marlène Lanoix, Raymond Occolier et Jules Otto, ne sont pas revenus sur leurs propos, si ce n'est pour les aggraver ! Seul Jules Otto aurait écrit une lettre pour expliquer que ses propos avaient été mal compris ou mal rapportés... mais sa lettre d'explication serait introuvable au siège du Parti socialiste et l'intéressé, injoignable, refuse d'en fournir une copie!

5°/ Quelles solutions à l'homophobie aux Antilles? Le recours à la loi contre les injures homophobes? L'éducation?

La loi contre les propos homophobes promulguée le 30 décembre 2004 est utile pour faire peur aux homophobes et pour faire que la honte change de camp... mais elle semble être une fausse bonne solution à l'homophobie aux Antilles : qui osera l'invoquer devant la Justice ? Récemment, dans un procès consécutif à un meurtre ayant suivi une injure homophobe, même le ministère public a légitimé la violence physique comme réponse à l'injure homophobe ! Seule la pédagogie paraît en mesure de faire bouger les mentalités, qu'elle soit menée sur la place publique par An Nou Allé ou qu'elle soit, enfin, assumée à l'école par l'Éducation nationale. Faire tomber les frilosités de cette dernière sera précisément le but de la prochaine Journée mondiale de lutte contre l'homophobie, le 17 mai prochain. Son thème sera : «Non à l'homophobie, oui à l'éducation !»

Pour AN NOU ALLÉ !

CGL Antilles & Guyane,
Association des NoirEs lesbiennes, gais, bi & trans en France,

Le Secrétaire général, David Auerbach Chiffrin
+33 (0)612 951 621
(t.l.j. 19h30/21h30)

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Antenne Paris Île-de-France

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